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Versions littéraires de la légende du prisonnier de Gisors
Quelques versions littéraires de la légende du prisonnier de Gisors
La version de Charles Nodier Charles est, en terme d'importance, la première. Il donne immédiatement le ton, celui du roman historique auquel les plus grands ont sacrifié, comme Vigny avec Cinq Mars, ou Victor Hugo avec Notre Dame de Paris. Avec les "Légendes rouges", Famin, qui reprend dans ses grandes lignes le roman de Nodier, nous livre le nom du prisonnier : c'est François II, le jeune époux de Marie Stuart, histoire tellement invraisemblable que personne n'a osé la reprendre !
Simons-Candeille développe une version beaucoup plus interessante pour l'histoire locale. Dans son roman "Blanche d'Evreux ou le Prisonnier de Gisors" cet auteur exploite la celtomanie courante à l'époque. Il récupère certains des ingrédients déjà développés par Potin de la Mairie, dont l'existence d'un mystérieux souterrain reliant le chateau de Gisors à celui de Neaufles, souterrain dont l'existence alimentera les élucubrations des chercheurs du Trésor des Templiers. C'est (bien sûr) ce souterrain qui donne accès à la chapelle dans laquelle se trouve le fabuleux tésor. Un démon interdisant l'accès à ce souterrain,on ne peut y accéder que le jour de Noël,selon Potin de la Mairie. Pour Denoix des Vergnes, le souterrain à des allures de labyrinthe cretois. On atteint un sommet avec Amélie Bosquet, puisque dans le tresor se trouve le fameux veau d'or qui valut aux hébreux de rester quarante années de plus dans le désert du Sinaï. Amelie Bosquet n'est d'ailleurs pas regardante, puisqu'elle placera une seconde fois le veau d'or dans les ruines du chateau de la Robardière au bord de la forêt de Dreux. Gédéon Dubreuil, quant à lui décrit le souterrain, "où trois hommes peuvent marcher de front" et le fait aller jusqu'à Chateau Gaillard. Dans les années 1930, Eugène Anne y fera mourir en l'an de grace 1520, un adolescent qui prefera l'enrichissement immédiat aux fruits hypothétiques du labeur quotidien. Pour Eugène Anne, instituteur de la 3ème République "les seuls moyens légitimes de s'enrichir sont le travail et l'économie".
En ajoutant des notes historiques sur le prisonnier de Gisors, D'Arlincourt (la mort et l'amour, 1828) mélange adroitement fiction littéraire et vraisemblance historique, et assure le succès de son ouvrage. Son héros est un jeune guerrier de 25 ans. Au bout de 15 ans de captivité, il réussit à s'évader par une meurtriére, se brise la cuisse dans sa chute, se traine sur dix kilomètres pour aller agoniser comme par hasard au pied d'un autel druidique. Sauvé d'extrème justesse on le ramène dans son horrible cachot, où il mettra dix ans de plus à mourir.
Avec Gédéon Dubreuil, on aborde le thème des amours coupables d'une reine avec un beau chevalier. C'est un "noble étranger constamment vétu de noir" dont le nom n'est jamais cité. La reine, c'est à nouveau Blanche d'Evreux. Il la sauve, il sauve même son mari, Philippe VI d'un incendie, ce qui n'empêche pas ce dernier (l'ingrat !) d'envoyer son sauveur croupir à Gisors, lorsqu'il le découvrit aux pieds de la reine. Devenue veuve, Blanche obtient le droit d'aller visiter son beau chevalier dans son cachot. Et notre auteur de décrire la vie idyllique que les tourtereaux mènent au fond du cachot : "Blanche filait sa quenouille ou tricotait et de son côté le prisonnier engravait ses images". Une petit fille nait de ces amours, Jeanne de France. Finalement le prisonnier s'évade. Un gardien le blesse mortellement d'un trait d'arbalète, c'est à la mode depuis Richard Coeur de Lion. On l'enterre -tous les lecteurs l'auront deviné - à l'entrée du souterrain de Neauffles.
Rabuté (Le Prisonnier de Gisors, 1911) situe son action sous le règne de Philippe de Valois. Cette fois-ci c'est un beau ménestrel qui séduit la suzeraine, Blanche d'Evreux. Rebondissement, le beau ménestrel est un noble écossais, Lord Edward Colt, envoyé pour négocier une alliance entre la France et l'Ecosse contre l'Angleterre. La suite du récit est plus banale. Il est surpris faisant la cour à la reine, et envoyé derechef au chateau de Gisors. Connaissant l'existence d'un souterrain secret, il sort à sa guise pour accomplir maints exploits. Il meurt lui aussi en voulant s'évader (on ne comprend pas très bien pourquoi, puisqu'il pouvait sortir à sa guise) d'un trait d'arbalète, mais - plus chanceux que ses prédecesseurs - entre les bras de Blanche. Cette dernière se retire inconsolable, - vous l'avez deviné - à Neaufles. Avec Eugène Anne, l'équipement militaire ayant fait des progrès, c'est un coup d'arquebuse qui tue le prisonnier tentant également de s'évader. Entre temps, dans cette nouvelle version, Poulain, c'est son nom (en anglais : colt) a découvert sous son cachot des oubliettes emplies d'ossements blanchis par les siècles. Ernest de Blosville rallonge la peine infligée au prisonnier par d'Arlincourt d'au moins vingt ans, puisqu'il le fait mourir à un âge avancé. Alphonse Le Flaguais a pitié du prisonnier : il le fait mourir sous une nuée de flèches.
Les multiples identités du prisonnier de Gisors
Pour Potin de la Mairie, il s'agit de Nicolas Poulain, lieutenant prévôt d'Ile de France, qui dénonça un complot ourdit en 1587 contre Henri III. Les Guises pour se venger le firent enfermer à Gisors. Seul argument avancé par Potin de la Mairie pour valider son choix : les deux initiales N et P retrouvées parmi les grafitis qui ornent les murs du cachot. L'argumentation est faible. Pour Léon de Laborde, membre de l'Institut, le candidat prisonnier ne peut être qu'un peintre du nom de Poulain, dont par ailleurs on ne sait rien. Retour à la case départ donc. Blangis est le troisième à proposer une solution se voulant rigoureusement historique, avec Wolfang de Polham, authentique chevalier, fait prisonnier par Louis XI à la bataille de Guinegate en 1479 et emprisoné à Arras. Libéré, on le retrouve en 1490 à Rennes où il représente Maximilien pour épouser par procuration Anne de Bretagne. Chevalier de la Toison d'Or, il meurt avant 1516, date à laquelle son siège est reconnu vacant. Pour quelle sombre raison Louis XI aurait-il emprisonné ce haut personnage de la cour de Bourgogne ? Pour Blangis, Wolfang aurait été l'amoureux transi de Marguerite de Bourgogne, qu'épouse Maximilien d'Autriche, lorsque son mariage avec Anne de Bretagne devint impossible, cette dernière ayant entre temps épousé Charles VIII. Par malchance pour cette théorie, on sait maintenant que le beau Wolgang était le favori de Maximilien, et non pas de Marguerite. Il ne fut retenu prisonnier à Arras que quelques mois, la rançon exigée ayant été rapidement payée par son protecteur.
Gisors étant une prison, il y eut des prisonniers. Parmi tous ceux qui furent internés, auquel ou auxquels attribuer les gravures faites dans la pierre du cachot ? Le premier dont l'histoire nous indique qu'il a "bénéficié" d'un régime très sévére est Simon de Macy, emprisonné sur ordre de Philippe le Bel en 1314. Simon de Macy ne devait communiquer avec personne sauf mandement du roi. Parmi tous les candidats qui peuvent prétendre au titre de prisonnier de Gisors, Pierre Forget mérite une attention spéciale. Dans la narration du récit de son évasion, il mentionne avoir traversé la fameuse chapelle Sainte Catherine, à laquelle sera raccrochée par la suite le trésor des templiers. En fait Pierre Forget est incarcéré dans la tour du gouverneur. La chapelle qu'il traverse pour s'évader est la chapelle dite du Roi. La description qu'il donne des lieux qu'il traverse est exacte. Il faudra toute l'imagination de De Sède, pour voir dans ce récit la preuve de la véracité des déclarations de Lhomoy, lorsque celui-ci affirmera en 1946 avoir découvert le trésor des templiers.
(site perso; les châteaux forts normands)
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